Un premier billet de Mathieu Jacomy sur le nouveau blog de Gephi daté de février 2015 nous avait averti du réveil probable du projet. En sommeil pendant plus de deux années, le projet est de nouveau officiellement réactivé:
« Gephi has been almost inactive since quite a long time: we did not release, we did not fix issues, we did not post on the blog. This lack of recent updates creates an increasing amount of difficulties, including installing Gephi on a recent Mac computer. A lot of users ask if the project is still alive. We understand why you wonder and decided to write this post to explain where we’re at and provide to the community a preview of what’s next in Gephi’s lifecycle ».
Dans un nouveau billet diffusé récemment, l’équipe publie une sorte de roadmap comme elle aime les formuler: des propositions ouvertes issues d’un travail continu de brainstorming. Etant données mes faibles compétences techniques, je suis un membre un peu spectateur de l’équipe et du Consortium. Et toujours aussi admiratif de voir se développer, par phases successives, un projet né dans mon enseignement. Un projet libre et imprévisible conduit par des ingénieurs-contributeurs qui se sont réunis il y a quelques temps pour esquisser les contours de la future version. Pour cette version 0.9 à venir bientôt, plusieurs voies ont été poursuivies et 5 objectifs majeurs définis: l’amélioration de la gestion du workflow (notamment l’utilisation des différents workspaces), une interface orientée facettes, la gestion personnalisée des menus, l’élimination des fonctionnalités inutiles et la prise en compte de scénarios utilisateurs connus et sur lesquels l’équipe a des retours. Un mockup de l’interface a ainsi été publié sur le nouveau blog de Gephi:
La nouvelle version sera compatible avec tous les OS et la version courante de Java. Voilà donc une version 0.9 prometteuse, à la hauteur du succès de l’application. Il est d’ailleurs difficile de le mesurer. Mais, avec plus d’un million de téléchargements, un nombre important de plug-ins, des forks (des copies si l’on veut) et un nombre impressionnant de champs expérimentaux qui le mobilisent (notamment en biologie et en génétique, en économie et en ingénierie des systèmes…), Gephi concentre tous les caractères d’une marque. C’est ce qu’est venu nous indiquer Alain Le Berre (l’un des co-fondateurs de linkfluence) lors de la réunion du consortium. Il est difficile aujourd’hui d’identifier les différentes raisons du succès de l’application et la pérennité du projet. J’ai quelques regrets de n’avoir pas su noter précisément tous les détails de cette aventure, comme dans un carnet de bord. On peut cependant feuilleter les numéros de Science ou Nature de ces cinq dernières années pour trouver, ici ou là, des articles scientifiques de premier plan dont les illustrations proviennent de Gephi. On peut aussi fréquenter les conférences mondiales sur le social network analysis, les systèmes complexes ou la génétique pour y trouver là aussi Gephi en bonne position. Malgré les difficultés accumulées avec une version 0.8 vieillissante, le capital d’usage et de notoriété est là. On peut aussi aller sur Amazon pour y voir apparaître des ouvrages dédiés à l’application, ces fameux handbooks dont sont friands les américains:
Un indicateur intéressant (mais massif) consiste à consulter GoogleTrends et à comparer Gephi avec d’autres applications du même type en analyse et en visualisation de réseaux. Ci-dessous, la courbe Gephi en bleu et celle de Pajek en rouge:
On y voit le croisement des courbes, notamment depuis 2010 et les premiers succès de Gephi aux Etats-Unis. Ci-dessous, la même chose avec Cytoscape:
J’ai même essayé avec TULIP, l’autre projet français, développé à l’université de Bordeaux et qui reçoit des soutiens académiques et industriels significatifs (le projet est supporté par le CNRS, l’INRIA, l’INRA, Thalès, Xerox, l’ANR…) mais GoogleTrends ne renvoie pas de résultat significatifs…
Evidemment, certaines raisons du succès de Gephi viennent de sa technologie modulaire, du travail énorme de son lead developper Mathieu Bastian et du soucis qu’a toujours eu l’équipe de produire des exports qui assurent à l’application une plasticité qui lui permet de se fondre dans de nombreuses chaînes de traitement de l’information. Mais il y a, je crois, une raison plus profonde: nous sommes avec Gephi plus proche de l’esprit d’une start-up (curieuse il est vrai avec ses périodes de sommeil et d’activité) que d’un projet de recherche académique où est organisé et programmé le turn-over sans fin des étudiants, des thésards et des post-docs qui ne seront jamais maîtres de leurs contributions (notamment des lignes de code!). Mis à part le coup de pouce significatif du Google Summer of Code pendant plusieurs années et le soutien «logistique» d’acteurs comme linkfluence, Gephi n’a bénéficié d’aucun programme d’aide (universités, régions, ANR, Europe) et repose sur les contributions volontaires d’une équipe motivée. Voilà exactement 10 ans que ce projet libre est né dans mon enseignement et dont le capital essentiel, au delà du succès d’usage mondial, réside dans la communauté qui le développe. Il faudrait d’ailleurs se pencher en détail sur ce principe qui nous a guidé pendant 10 ans: les aventures humaines et les compétences partagées ou complémentaires sont plus importantes que la nature-même des projets innovants. En plaçant les questions d’organisation ou de coûts au premier plan, il n’est pas sûr que les « fablab », « centres d’innovation », « pôle de compétences », « quartiers de l’innovation » et autres « écosystèmes » arrivent à capter cette créativité si essentielle aujourd’hui à l’univers de l’industrie et des services.
Il se peut qu’il y ait un jour une version 1.0, ou pas. Si elle advenait, cette version pourrait d’ailleurs prendre des formes surprenantes: Gephi pourrait finir un cycle complet en se dissolvant sur le réseau, non sous la forme d’une application locale mais d’une série de web services distincts. Quelques modules qui, autrefois assemblés, finissent comme quelques points séparés sur le web et sa machinerie.
Bonne nouvelle, je suis si contente que l’équipe derrière essaient de l’améliorer davantage.