Un livre entier ne suffirait pas à parcourir toutes la facettes de la notion de « temps » dans un réseau. La question de la temporalité dans les data réseau est d’autant plus délicate à aborder que les problématiques théoriques, méthodologiques et techniques s’accumulent et s’enchevêtrent. Les méthodes de web mining avaient démontré toute la difficulté de la tâche dès les années 90/2000: le temps de la diffusion d’une page web n’est pas le temps de son indexation dans une base, ni le temps que met un crawler à la découvrir, ni le temps qui règle son univers (disons sa « communauté ») quand on observe la distribution des liens hypertextes à grande échelle. Mais ce n’est pas tout: les réseaux dont on essaie de dresser la topologie admettent un double visage constitué d’une structure qui évolue dans le temps (apparition/disparition de liens et de noeuds) mais aussi alimenté par la circulation de l’information (ou de tout autre élément) sur cette structure, par des chemins qu’il est encore difficile d’apercevoir.
L’angle choisi pour ce chapitre 8 des Chroniques du Web cherche à articuler ce double visage sous l’angle de ce qui s’annonce aujourd’hui comme les Computational Social Sciences à venir, un univers où devrait voir advenir une nouvelle forme de sociologie et où les data servent d’instrument d’observation comme l’étaient auparavant l’enquête ou l’analyse statistique. J’aurais pu aborder la question de façon plus « technique » en restant près de l’étude des flux temporels dans les données et des modèles de traitement du signal, ou à l’opposé aborder la question du temps dans les réseaux en posant la question de savoir quel type de mémoire culturelle nous construisons tous les jours. L’angle choisi concentre à lui seul la question qui nourrit tous les autres d’une façon ou d’une autre: que nous apprend l’approche réseau sur les rapports du « temps » et de « l’espace »? De nombreux aspects du web abordés dans les Chroniques relèvent au fond de cette question: avec ses couches, ses clusters, les lois statistiques qui émergent dans l’observation de la distribution des liens hypertextes, ses calculs de chemins ou de diamètre, entraîne dans des univers où, justement, les catégories du « temps » et de « l’espace » n’ont peut-être déjà plus cours, comme s’il s’agissait de repenser ou de redéfinir les catégories usuelles à travers lesquelles nous pensons les phénomènes.